Jean-Marc Chouvel
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Antonia Soulez


Jean-Marc écrit, dessine, dit, chante, et compose.

Je comprends cette multiplicité de voix et de voies comme une chance, une chance à cultiver, dans un monde d’expression mono-idéïque, 
 

Polyvalence :

Je suis affectée moi aussi de cette polyvalence qui peut nous jouer des tours. L’expression aurait besoin d’un canal unique, tout devrait passer par une seule voix, ou voie reconnaissable, identifiable. 
Celui-ci est peintre, celle-là pianiste, cet autre est conteur, et cet autre encore est un acrobate.
Pire encore, celui-ci est un scientifique, un ingénieur, mais il écrit des poèmes, et cet homme là est un biologiste qui écrit des haïkus…
C’est  en effet mal vu, mal porté de défendre plusieurs voies et voix. Pourtant, une voix peut passer à travers plusieurs, et c’est le secret. Il faut attraper cette voix principale, qui n’est pas une voix supérieure, qui passe à travers différentes autres, et circule d’un registre à l’autre. Cette voix qui joue de divers instruments, s’exerce sur plusieurs claviers.
Concernant Jean-Marc, en regardant Mémoires d’un bâton d’encre je me suis plu à parcourir un chemin , celui que dessine le page à page, et même le deux-pages à deux-pages qu’il m’a recommandé. Et voilà ce qu’il m’est venu en suivant ses « tracées » sur le papier.


3 mouvements se dessinent :

1-  Écrire est dessiner. Là-dessus, je suis pleinement d’accord.  Faire défiler le vers en bas des  lignes dans le sens des fibres ou à contre-sens, rien à objecter.
2-  Dessiner est dé-linéer , capturer entre lignes et bâtons, volumes et volutes, des taches et des spots de couleurs, autant de signes d’ancrage dans la matière à travers elle. Faire du support une texture orientée, car tracer un trait est opérer une ligne de partage. C’est la ligne de Fontana dont parle Deleuze, une suffit et naît un chaosmos.
3-  Enfin, Le poète Michaux nous le dit  « dessiner l’écoulement du temps », tel est un certain « phénomène musique ». « L’écoulement du temps » fait élan dans la tracée de ce troisième mouvement.

La musique s’appréhende par trajets dit aussi Michaux, et chez Jean-Marc, ces trajets se cherchent un ancrage, par nécessité variée.
Écrire, dessiner, et la musique sont ces trois modalités d’un même acte. Notez que dire « musique » est insatisfaisant. Ce n’est pas un verbe.
On voudrait dire chanter, et ce ne serait pas hors propos concernant Jean-Marc car il chante aussi. Mais c’est plus que ça. Ce serait tracer un air sur matière, sonoriser un élan. C’est au contact du bâton que cela opère sur la page. Il en explique la technique ancienne venue de Chine qui ne recourt pas dit-il à l’intermédiaire raffiné d’un pinceau.
Est décisif ici le geste qui se laisse deviner à partir du trait obtenu de réunir l’encre à la texture,  chose locale, mais aussi ambiante.  Sensibilité, émoi sont en jeu.

Revenons à l’acte unique sous la multiplicité !
C’est à cette unicité qui ne délivre aucune figure pour un tableau abouti, que l’on reconnait un mot que Jean-Marc désigne pour caractériser ce qu’il fait, à savoir  : « improviser ».


Improviser

n’est pas que dessiner, premier mouvement, ou écrire des mots du poème, deuxième mouvement ou tout d’un coup sans prévenir explorer de ses doigts le clavier qui s’offre, 3e mouvement.
Improviser pour lui est jouer de ces trois supports la page, le plan, pour la portée afin de libérer trois sortes de résonances, résonance pour des frayages d’entailles, résonances de notations et résonances de timbres.
Et tout cela en mode « peut-être »  avec usage du conditionnel, car ici tout tracé est un conditionnel, mais pas comme on dit en grammaire « un conditionnel irréel » puisque chaque acte vise la recomposition après effacement.

Trois modes de résonances  pour immatérialiser le matériau à tracer de page en page.

Un poème est une « partition sonore », écrit-il, là-dessus, nous sommes si proches.
Dans « partition sonore », il y a la ligne de partage, mais aussi l’acte de naissance, le dessin du trait orienté parfois rouge à travers page, fin à l’horizontale, ou strié à la verticale épaissi, en travers de la page. Un poème porté vaut bien ça ! papier d’une portée avec degrés à l’encre ; portée d’un air qui est une fissuration, pour la figuration d’un rêve, car la « mémoire du bâton » opère ainsi de page en page.


Un mot que j’aime est « prosopopée » :
le bâton parle pour encrer des visions d’une matière à immatérialiser. Il va pour moi, à ma place, il me défend aussi. Tels sont les poèmes, des fragments tantôt blancs, tantôt gris, qui parfois se chevauchent, jamais justifiés, en bas de la page, des lignes alternantes dessinant un dialogue possible.

Les poèmes remplacent les titres d’œuvres, ou plutôt de ces illustrations d’un travail en cours, d’un processus qui ne cesse de s’inachever toujours d’acte en acte. Travail de recomposition (Tracées p 59). Nullement inchoatif, pourtant.
Ce travail processuel est « à vivre dans l’œuvre » (p 79), dit-il, mais l’œuvre – faut-il préciser – exige les trois mouvements dont aucun, développé pour lui-même,  ne serait autonome ni suffisant.  Ils réclameraient une scène pour un espace sonore à jouer avec un piano devant dit-il.
Cette recomposition requérant un système d’actes à trois foyers nous parle de ce qui se passe dans le « mouvement de pensée », pas la pensée déposée. Il fait penser  aux manières dont opère « l’esprit », peut-être donc pas « moi ». Le bâton parle pour moi. C’est le Valéry des Cahiers. L’essayiste en tous genres dont l’acte est celui unique à travers toutes ces modalités d’un « se sentir », réfractaire à l’objectivation.


J’ai repéré  ces indications au retraçage des pas du pèlerin :
1-  Des allures de bâtons, en forme de stries, accompagnant, on dirait, des renvois avec notations sonores en bas de page, et ça s’étoffe.
2-  Récurrence du mot « fibres »
« gagnées comme un corps par la négligence » , on remonte, on lit, « qui doit tout aux fibres de la matière, fibres de la page », p 97. Ainsi, il faut aussi remonter de page en page, pas seulement descendre. 
Accompli un signe,
indicible falaise
tout remonte d’un écart imperceptible.

avec la vérité !
Ainsi le bâton est celui de l’enfant qui apprend à tenir un crayon, qui ânonne les lettres ; qui compte ce qu’il plante, qui avance à pas comptés, qui s’escomptent p 39 en clair-semé… à travers différents paysages – paysages de figures de rêve, à peine  émergées des paupières.
De toutes ces figurations, incluant beaucoup de partitions comme il est dit p. 34, s’en distingue une qui m’a toujours intriguée et qui est une revenante :
Des formes tubulaires, évoquent en serpentant à travers la page un clavier amolli qui s’enroule en écharpe et fait retour. On dirait parfois des manchons laineux en torsades. Des lignes laineuses s’effrangent bordées de rouge.
Si on poursuite le périple, la page se peuple : des personnages apparaissent entre les bâtons, de plus en plus nombreux, qui se cache là ? Des forêts d’hommes p. 45.
Surviennent, les paupières, des galets p. 58.
Puis les couleurs vives en carrés.

Tout de même cette phrase très cruciale émerge  qui m’a parlé
« dans les mots, une zone érogène qu’il faudrait ne pas toucher » p. 83.
Au total, Jean-Marc est un improvisateur lyrique.
N’oublions pas son Phoenix qui renaît après avoir été consumé, image ailée de la « recomposition ». 


 

Dans la collection Musique - transversale


            Recueil de dessins et de textes

Mémoires d'un Bâton d'Encre